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HISTORIQUE DE LA PRÉVÔTÉ DE QUÉBEC |
On
plaidait pour tout et sous nimporte quel prétexte :
les
nobles pour la distraction, les marchands pour leur commerce
et les paysans
pour la conservation de leur patrimoine1.
Création de la Prévôté de Québec
Par son édit de création, donné à
Paris au mois de mai 1664 par Louis XIV, la Compagnie des Indes occidentales est
autorisée, à titre de seigneurs haut-justiciers, à « établir des juges et officiers partout où besoin
sera et où elle trouvera à propos de les déposer et destituer, quand bon lui semblera,
lesquels connaîtront de toutes affaires de justice, police, commerce, navigation tant
civiles que criminelles ». Aussi, « Seront
les juges établis en tous les dits lieux tenus de juger suivant les loix et ordonnances
du royaume, et les officiers de suivre et se conformer à la Coutume de la prévosté et
vicomté de Paris ». Cest ainsi quest établi le tribunal de la
Prévôté de Québec, en mai 16662.
En décembre 1674, par un édit donné
à Saint-Germain-en-Laye, le roi réunit au domaine de la couronne toutes les terres
quil a accordées à la Compagnie des Indes occidentales. Par le même édit, il
révoque et supprime le siège de la prévôté et justice ordinaire de Québec et ordonne
que le Conseil souverain juge en première instance les procès et contestations que la
Prévôté avait coutume de juger, et dont lappel est relevé au Conseil souverain.
Puis, par son édit donné à Saint-Omer, au mois de mai 1677, Louis XIV rétablit le
siège de la prévôté et justice ordinaire de Québec « pour connaître en première instance de toutes
matières tant civiles que criminelles, et dont lappel sera relevé en notre Conseil
souverain établit en ladite ville ». Cest ce tribunal de la
Prévôté réorganisé en 1677 qui va demeurer jusquà la Conquête3.
Le siège
de la Prévôté est composé dun lieutenant général, dun procureur du roi
et dun greffier. En se prévalant de ses pouvoirs, la Compagnie des Indes
occidentales donne, le 1er mai 1666, à Louis-Théandre Chartier de
Lotbinière des lettres de provisions pour « loffice de lieutenant général
civil et criminel en ladite ville de Québec », au salaire annuel de 500 livres
tournois. Il doit obligatoirement assister aux deux séances hebdomadaires. Même
sil peut assister à diverses assemblées, ses fonctions ne loccupent
quenviron trois jours par semaine en moyenne. Le même jour, Jean-Baptiste Peuvret
sieur de Mesnu est reçu au poste de procureur fiscal de Québec, avec 300 livres tournois
de salaire annuel. Il assiste aux audiences et doit, en plus, faire des tournées de
police pour assurer le respect des ordonnances. La somme de travail requise équivaut donc
à celle du juge. Le 5 mai, Gilles Rageot est nommé greffier de la Prévôté de Québec
aux gages de 100 livres tournois annuellement. Cest lofficier le plus
accaparé par sa charge. En plus de la rédaction des registres daudiences, des
sentences et des actes, il doit être présent pour recevoir les dépôts au greffe,
expédier des copies de sentences ou dactes de notaires décédés, qui sont
déposées dans ses archives. En tant que conservateur des archives et receveur des
deniers de justice, il a donc de lourdes responsabilités.
Sa compétence
Comme il est spécifié ci-dessus, la compétence de la Prévôté sétend à toutes les « affaires de justice, police, commerce, navigation tant civiles que criminelles ». Telle est sa compétence ordinaire. Mais elle peut, en outre, juger en appel des sentences des baillis ou juges seigneuriaux4. Elle est déchargée de laudition des causes de la navigation, en 1717, lorsque le roi crée à Québec une cour dAmirauté.
Parfois, cette compétence
sentremêle avec celle dautres corps ou fonctions, surtout dans les débuts.
Mais peu à peu, les juridictions se définissent mieux. La Prévôté apparaît comme une
institution qui se développe lentement, au même rythme que la colonie et la société
qui lentourent. Jouissant sensiblement du même statut quun bailliage
français, ses compétences très vastes limpliquent dans la vie quotidienne des
habitants5.
Les pouvoirs de la Prévôté
sétendent à tous les secteurs de la société. Dune part, elle est la
gardienne de lordre, de lautre, elle est la médiatrice des rapports sociaux
et économiques auprès de laquelle, les gens de toutes conditions viennent chercher le
redressement de torts réels ou supposés. Cest cette dernière fonction qui
constitue la principale raison dêtre de cette structure administrative et qui fait
vivre les officiers6.
Son
fonctionnement Au début, on croit que le siège de la Prévôté de Québec se tient dans lancien immeuble de la Sénéchaussée, lequel est démoli vers 1711, édifice quon appelait « le Palais ». Vers 1685, la brasserie établie par Jean Talon est transformée pour devenir le Palais de lIntendant situé au pied de la côte du Palais. En 1712, un incendie déloge l'Intendant qui doit trouver un gîte ailleurs. Il est accueilli alors par le Conseil Souverain et la Prévôté de Québec par Monseigneur de Saint-Vallier, dans son palais épiscopal. Il faudra quatre ans, en 1716, pour rebâtir le Palais situé dans le même quadrilatère. |
Source : www.mcc.gouv.qc.ca/pamu/champs/archeo/partenai/palais.htm |
Vue du Palais de l'Intendant vers 1760 Gravure de RichardShort, dessiné à l'encre forte en 1761. Dépôt du Séminaire de Québec. Collection Verreau, Hospice-Anthelme, no. 1993.15816. |
Les procès ne suivent pas tous le même cheminement
et, en pratique, ils sont sujets à dinfinies variations. La variation la plus
importante à cet égard est celle qui oppose les causes sommaires aux causes qui
séchelonnent sur plusieurs séances. La justice sommaire a pour but
dexpédier promptement et à moindre frais les litiges courants. La procédure est
donc restreinte. Les causes sommaires ne sont pas très onéreuses pour les plaideurs; une
visite chez un huissier et quelques heures passées dans une salle daudience
suffisent pour obtenir un jugement. Pour les causes plus complexes, le plaignant entame
généralement les procédures par la présentation dune requête, bien que non
obligatoire, au juge. |
Au jour prévu, les parties se
présentent à la salle daudience avant neuf heures du matin : les séances
débutent à 9 heures du matin lhiver, et à 8 heures lété. Les séances se
tiennent les mardis et vendredis en temps normal et le mardi seulement pendant les
« vacations », cest-à-dire à lépoque des semences et pendant la
récolte. Après une interruption de midi à deux heures, elles peuvent se poursuivre fort
tard, jusquau coucher du soleil si cela est nécessaire; ainsi les séances de
janvier et décembre vont de 9 heures à 16 heures 30 (coucher du soleil), celles de
lété de 8 heures à 19 heures7.
Le lieutenant général prend le siège;
sont aussi présents le procureur du roi, le greffier et habituellement quelques huissiers
à la disposition du magistrat. En principe, les plaideurs exposent leurs affaires
eux-mêmes, mais ils peuvent se faire représenter par dautres personnes quon
appelle des « praticiens » : notaires, huissiers ou autres au courant de
la procédure judiciaire. À cette époque, il ny a pas davocats. Les
huissiers peuvent accomplir plusieurs tâches (exploits, significations, tournées de
police, criées et ventes, assistance aux inventaires comme priseurs), mais leur nombre
est tel quaucun dentre eux nest surchargé de travail.
Soit par lui-même ou son représentant,
le défendeur fait les objections et présente sa défense sur le tout ou sur une partie
de la requête. Alors, le procureur, mis au courant préalablement de la requête ou
plainte, propose ses conclusions après audition des parties. Une fois la sentence
prononcée par le juge, cest au greffier dintervenir. Pendant les séances, il
inscrit dans son plumitif daudience un compte rendu abrégé de tout ce qui se passe
en cour et, dans la « grosse » de la sentence, tous les détails concernant la
cause. Il est important que le greffier inscrive chaque détail puisquen cas
dappel, lappelant doit produire devant le tribunal supérieur une copie de
toutes les pièces relatives au procès8.
Si lune des parties fait défaut
et ne répond pas à lassignation, le juge accorde à lautre partie le profit
du défaut, à moins que le défaillant soit représenté par procuration. Ce profit
consiste ordinairement en la présomption, en sa faveur, pour la continuation de la cause
et en lexemption des dépens, alors mis à la charge du défaillant.
Les litiges civils en première instance
constituent le gros du travail de la Prévôté. Selon John A. Dickinson9, les procès civils, dont
la cause nous est révélée par les procès-verbaux, sont regroupés en dix
catégories :
1)
les différends concernant la propriété dun immeuble (titres, ventes, etc);
2)
les réclamations concernant la seigneurie (paiement des cens et rentes, lods et
ventes, etc.);
3)
les échanges de denrées agricoles;
4)
les problèmes entourant les bestiaux (baux, dégâts dans les champs, propriété
de bêtes);
5)
le commerce (échange, transport et ventes de marchandises);
6)
les dettes (obligations, rentes, etc.);
7)
les procès impliquant des artisans (serviteurs en fuite, marchés non respectés,
etc);
8)
linterprétation de contrats notariés;
9)
les héritages (contestation dune succession, etc.);
10) de
natures diverses (objets perdus, affaires intéressant lÉglise ou la famille, etc.)
Les registres de la Prévôté de Québec
La série des registres de la Prévôté de Québec,
conservée aux Archives nationales du Québec, comporte 112 volumes en tout : 86 sont
des registres daudiences civiles, 9 daudiences criminelles et 17 sont des
registres de dépôts de pièces, déclarations, etc. Cette série constitue la principale
source pour létude de la justice royale à Québec pendant le régime français.
Dautres
fonds composant les archives judiciaires ont été inventoriés et même fait lobjet
dune transcription « in extenso » : les jugements et
délibérations des Conseil souverain et Conseil supérieur de la Nouvelle-France,
linventaire des insinuations du Régime militaire, linventaire dune
collection de pièces judiciaires, notariales, etc., les bailliages de Beaupré et de
lîle dOrléans, etc.
Pour la
Prévôté de Québec, un inventaire des insinuations a été publié en 1936-1939 par
Pierre-Georges Roy, et Jean-Claude Trottier a reproduit « in extenso » le
registre civil de 1676 (volume 9) ainsi que le Petit criminel (1678-1686) et le Grand
criminel (1677-1686). Outre ce registre de 1676, les registres civils nont pas
encore été dépouillés de façon systématique.
En terminant, laissons la parole à
M. Dickinson :
[Létude
des registres de la Prévôté de Québec] a
révélé certaines caractéristiques de la société québécoise des XVIIe et XVIIIe siècles et a souligné lintérêt des archives
de la justice civile comme source de documentation. Loin dêtre nettoyé, le champ
commence à peine dêtre défriché et promet des moissons abondantes10.
Puisse la publication des
procès-verbaux « in extenso » des volumes de la Prévôté de Québec offrir
au chercheur dexceptionnelles perspectives.
Notes
1.
John Alexander DICKINSON, Justice et
justiciables, p. 4.
2.
Pierre-Georges ROY, La ville de Québec sous
le régime français, p. 417.
3. Loc. cit.
4.
J.-B. GAREAU, La prévôté de Québec
ses officiers ses registres, p. 54.
5.
John Alexander DICKINSON, op. cit., p. 57
6.
Ibid., p. 178.
7.
Ibid., p. 107.
8.
Ibid., p. 69.
9.
Ibid., p. 121-122.
10. Ibid., p. 181.
Bibliographie
DICKINSON,
John Alexander, Justice et justiciables. La
procédure civile à la Prévôté de Québec, 1667-1759,
Québec, Cahiers dhistoire de lUniversité Laval, no 26, PUL, 1982.
LA
GRENADE-MEUNIER, Monique, La société de
Place-Royale à lépoque de la Nouvelle-France, Québec, Ministère des affaires
culturelles, dossiers « Collection Patrimoine », 1992.
Texte 15 ROY, Pierre-Georges, La
ville de Québec sous le régime français, tome I.
Texte 16 GAREAU, J.-B.,
« La prévôté de Québec ses officiers ses registres », Rapport de lArchiviste de la Province de Québec
pour 1943-1944, Rédempti Paradis, Imprimeur de Sa Majesté le Roi, Québec, 1944.